En cette veille de Coupe du Monde, je me devais d’y aller de mon petit article sur le ballon rond. Pourtant je n’évoquerai ici aucun des charmes de l’Afrique du Sud, encore moins ceux de Raymond Domenech et ne me risquerai pas davantage à commenter l’actualité des bleus, leurs chances éventuelles ou leur style de jeu. Non, rien de tout cela ne figurera dans les lignes suivantes. Pour avoir évolué dans le football professionnel, et c’est le sujet de cet article, je sais trop combien nul ne peut justement extrapoler sur ce qui se passe au sein d’un groupe. Les journalistes et anciens joueurs le font à longueur de colonnes, mais ils savent en leur for intérieur, contrairement aux commentateurs de comptoirs, qu’ils sont quasi systématiquement dans l’erreur et plus encore dans le flou, n’ayant jamais en main les éléments pouvant légitimer leurs articles. Cela explique d’ailleurs leur versatilité, leurs retournements de vestes et la multiplication de leurs interventions permettant de dire tout et son contraire. C’est en partie cette retranscription erronée des faits, cet entretien d’une atmosphère délétère et calomnieuse, dans un milieu où tout se passe dans le vestiaire ou dans le secret des bureaux de direction, qui me pousse aujourd’hui à prendre la plume pour évoquer pour la première fois l’expérience vécu au Football Club de Nantes, par son président de l’époque, Rudi Roussillon.

On l’avait quitté en mai 2007, brocardé par le peuple nantais, la mine fatiguée et le regard triste, tandis que le FC Nantes vivait les affres de la relégation en L2 pour la première fois de sa longue histoire. Aux yeux des amoureux des Canaris, Rudi Roussillon, le Président nantais, successeur du très détesté Jean-Luc Gripond, symbolisait toute les dérives ayant conduit le club des bords de l’Erdre, dernier champion avant l’hégémonie Lyonnaise, à se perdre dans les méandres d’une gestion capitalistique figurée par ses actionnaires, la Socpresse puis le groupe Dassault.

Quelques semaines plus tard, le club était racheté par l’homme d’affaire Franco Polonais, Waldemar Kita, ancien propriétaire du club de Lausanne, recordman du nombre de transferts nébuleux et vite acculé à la faillite. Rudi Roussillon semblait être déjà oublié et les Nantais se réjouissaient de voir leur club, leur âme, repris par un véritable décideur ayant investi son propre argent comme gage de cette passion qui avait fuit la Beaujoire ces dernières années. Kita promettait alors de changer les méthodes ayant cours, de faire le ménage et de reconstruire patiemment un club habitué aux honneurs.

Après une remontée en L1 assez laborieuse dans le jeu mais sans difficulté notoire, le masque est tombé en même temps que l’équipe, voyant les canaris être à nouveau relégués, avant de vivre une deuxième saison cauchemardesque en Ligue 2. Dans son management, Kita a renouvelé toutes les erreurs précédemment commises, y ajoutant une communication désastreuse, une suffisance et une rigidité rare dans un milieu tout en souplesse et en langue de bois, ainsi qu’un comportement de matamore l’ayant conduit à simuler un coup de tête à l’encontre d’un supporter auteur d’une cavalière apostrophe. Oubliés les « Roussillon démission », la promesse non tenue de se séparer au plus vite de l’ex Président Jean-Luc Gripond, le peu judicieux « nous visons la 6ème place » quand la relégation fut au rendez-vous. La Beaujoire gronde à nouveau, plus fort que jamais, autant qu’elle se vide, et même si la rime est moins aisée, Kita est invité sans ménagement à faire ses valises et laisser le club huit fois champion de France entre les mains de ses grands anciens dépositaires d’un ectoplasmique « Jeu à la nantaise », uniquement pratiqué aujourd’hui par le géant Barcelonais.

Trois présidents, trois personnalités radicalement différentes

Gripond, Roussillon, Kita, trois présidents, trois personnalités radicalement différentes. Et cependant, à l’arrivée, des résultats relativement proches, quoique pire pour Kita. Pourtant, en dépit des atermoiements légitimes des supporters nantais, ces trois hommes n’ont pas eu recours aux mêmes méthodes de management et encore moins de communication. En terme de management, le rôle de Gripond et Roussillon fut celui d’un simple représentant de l’actionnaire. Mais à la différence du premier, à l’époque laissé titulaire des pleins pouvoirs par la Socpresse, Rudi Roussillon, réel passionné de football et ancien joueur, était pris en étau entre sa volonté de réussir à redorer le blason nantais pour en faire rejaillir le bénéfice sur le groupe Dassault qui le possédait et l’inflexible volonté de son propriétaire de se séparer du club. Serge Dassault n’aime pas le football et c’est tout à fait son droit, mais dès lors que cette évidence est énoncée, on comprend aisément combien la démarche de Roussillon était vouée à l’échec. Pourtant, lors de son arrivée, sa science de la communication, sa courtoisie sincère et son ambition affichée, ainsi que les témoignages élogieux de ses anciens mentors tels Guy Roux, lui ont permis de s’offrir un bref état de grâce auprès des supporters. Bref.. parce qu’une fois de plus, impossible à transformer en politique à long terme. Et ce, d’autant plus que Roussillon a bâti sa réputation sur une fidélité sans faille à ses employeurs, dont il a toujours prioritairement défendu les intérêts, et une sincère volonté de déminer les conflits les plus inextricables. A la différence d’un Charles Villeneuve qui, voulant se mettre les tribunes du Parc des Princes dans la poche, est parti publiquement au clash avec ses actionnaires à la première occasion, Rudi Roussillon connaît trop bien les lois de l’entreprise pour envisager de faire des vagues. Au surplus, il y a chez lui un sens inné des bonnes manières et de la gratitude qui ne peut se satisfaire de tels procédés. Ces qualités se sont, en la circonstance, transformées en défauts, dès lors qu’il lui était impossible de servir deux maîtres à la fois, l’actionnaire et le club, dont les destinées s’éloignaient chaque jour davantage. Le maintien d’un Jean-Luc Gripond, honnis de tous, au sein du club comme dans les tribunes de la Beaujoire, à un poste de Directeur Général, en fut la parfaite illustration. Lors de sa première conférence de presse, Roussillon annonce le retrait de Gripond, soulageant ainsi tout ceux qui estimaient le départ du marseillais comme préalable à toute ébauche de paix, ce qui était mon cas. Pourtant, en fin de saison, Gripond occupaient toujours son porte de Directeur général, tandis que d’autres, dont l’auteur, allaient bientôt quitter le navire.

Roussillon semblait tenter sa chance en solo sur quelques coups, mais il n’avait pas les moyens de les assumer, même si la question Gripond traîne derrière elle un certain parfum d’irrationnel. Il n’est en effet pas possible qu’un maître de la communication comme Rudi Roussillon n’ait pas mesuré tout l’aspect délétère de cette promesse non tenue. Là encore, le maintien de Gripond fut sans doute une décision étrangère à sa volonté, même si les qualités d’administrateur de ce dernier, aujourd’hui reconverti dans le marketing sportif, était loué par les membres de la Ligue dont il était alors Vice-Président. Mais là où Roussillon, toujours affable et concerné, s’acharnait à désamorcer les conflits, communicant à outrance pour protéger actionnaire, joueurs et staff technique, Gripond, cassant et hautain, prenait un malin plaisir à diriger dans l’établissement de rapports de force, n’acceptant la souplesse qu’en face d’une puissance supérieure.

Un management viril

Le cas Kita est sensiblement différent. Actionnaire principal du club, il a assumé un risque courageux en reprenant un monument en péril. Mais son management viril, sa communication brutale à l’égard des journalistes, et sa tendance viscérale à reporter l’ensemble des fautes commises sur ses subordonnées et les joueurs, ont très rapidement épuisé son crédit. Pire, sa volonté de s’affranchir totalement de l’histoire nantaise et des hommes qui l’ont forgée ne pouvait pas provoquer d’autre conséquence qu’un divorce avec un public exigeant et terriblement nostalgique. On a pourtant fait le même reproche à Gripond et Roussillon concernant l’histoire nantaise. Or, c’est sous leur ère qu’on été promus des personnalités telles que Angel Marcos, Loic Amisse, Serge le Dizet, George Eo, Japhet N’Doram et Michel Der Zakarian, tous anciens de la Maison jaune et dépositaire de son esprit. Leur échec n’en fut pas moins patent, laissant supposer que l’héritage du fameux « Jeu à la nantaise » inventé par José Arribas, n’a pas été également distribué, « Coco Suaudeau » et Reynald Denoueix s’en partageant l’exclusif usufruit, même si la Beaujoire oublie un peu vite que ce dernier aussi fut copieusement conspué dès que les résultats de son équipe faiblirent.

Une incapacité à se tourner vers l’avenir

C’est d’ailleurs en partie dans la culture malsaine de son glorieux passé que le FC Nantes s’avère incapable de se tourner vers l’avenir, tirant ses huit titres de champion de France comme un pénible boulet. Et encore une fois, revient le défilé de ces anciens qui, sans jamais mouiller leur chemise, s’invitent exclusivement aux enterrements, flinguant à tout va quand mesure et solidarité s’imposeraient. Ces anciens qui constituent autant de clans rivaux qu’il y a de joueurs sur un terrain et comptent sur le public pour saper le travail des équipes en place. Un public qui, bien que très attaché à son club, n’en constitue pas moins l’un des plus versatiles et des moins enthousiastes de France : très fort dans la critique, moins prompt à la remise en question. Il en est de même des édiles locaux qui ont toujours volé « au secours de la victoire », sans jamais vouloir s’associer aux mauvais résultats du club, ne détestant pas les sombres manœuvres de déstabilisation, notamment à l’époque d’un Roussillon, dont le charisme suscitait quelques craintes du point de vue politique.

Et maintenant Rudi ?

Rudi Roussillon a été sans doute blessé par la relégation du FC Nantes. Il lui fut bien plus pénible encore de n’avoir jamais pu disposer de la marge de manœuvre nécessaire à la véritable restructuration d’un club gentiment endormi sur ces lauriers fanés, écopant comme il le pouvait par une communication de tous les instants, dont la limite fut atteinte dès lors qu’elle se substitua à toute capacité d’action. L’omniprésence depuis trois saisons de l’ancien gardien d’Auxerre et du Red Star dans les stades de L1 et d’Europe, finales de Ligue des Champions comprises, n’a sans doute pas d’autre signification qu’une volonté affichée de ne pas en rester sur ce revers et de reprendre du service aux commandes d’un club professionnel, pour l’honneur et pour la passion. Même si, enfant de Nantes, l’occasion ne lui sera plus donnée d’exercer sur les bords de l’Erdre, il serait curieux de le voir à l’œuvre au sein d’une formation dont il serait propriétaire, ou pourvue d’un actionnaire à la fois peu interventionniste et sensible aux attraits du football. Il faudrait pour cela, à l’image de ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons, accepter de considérer l’expérience d’un échec comme une richesse et non comme un poids, pour peu que l’on sache en tirer les leçons.

Pour le reste, Rudi Roussillon, est l’un des rares dirigeants du football à pouvoir se prévaloir d’un passé de joueur, d’une réelle maîtrise de la communication et de la connaissance, acquise à Nantes, de tous les pièges tendus sur la route d’un président de club. Observateur avisé du milieu, il a lui même avoué qu’un retour constituait une vraie tentation*, laissant entendre que plusieurs clubs l’avaient déjà consulté, sans réunir toutes les garanties nécessaire à un parcours serein. Et de ce point de vue là, on ne peut douter qu’il étudiera très attentivement l’environnement lié à une éventuelle proposition, pour ne pas revivre la désillusion nantaise. Espérons pour lui, en tous cas, que cette seconde chance lui sera donnée et qu’elle sera fructueuse…